La PMA progresse en Afrique, continent le plus touché par l’infertilité
De Dakar à Kinshasa,
des dizaines de centres de procréation médicalement assistée s’implantent
depuis plusieurs années dans les zones urbaines.
L’infertilité, définie comme l’absence de grossesse après
douze à vingt-quatre mois de rapports sexuels réguliers, frappe de manière
quasi égale hommes et femmes. Elle résulte souvent, en Afrique, d’une infection
sexuellement transmissible (IST) non soignée ou d’un avortement non sécurisé
chez la femme. Les hommes, eux, en plus d’être confrontés à un effondrement de
la qualité de leur sperme comme ailleurs dans le monde, souffrent également
d’IST, du stress, de la pollution, du tabagisme… Dans 20 % des cas,
l’origine de l’infertilité demeure inconnue.
Malgré le tabou qui pèse toujours sur cette pathologie, une
révolution médicale à bas bruit fait son chemin de Dakar à Kinshasa. Des
dizaines de centres de procréation médicalement assistée (PMA) s’implantent
depuis plusieurs années dans les zones urbaines.
« C’est une activité en plein essor, confirme
l’Ivoirien Coulibaly Founzégué Amadou, à la tête du Groupe interafricain
d’études, de recherches et d’application sur la fertilité (Gieraf), une société
savante réunissant douze pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Rien qu’en
Côte d’Ivoire, il existe cinq centres de PMA. Avant, ils ne pratiquaient que de
simples inséminations. Désormais, certains proposent l’injection intracytoplasmique
de spermatozoïde (ICSI), la forme la plus sophistiquée de PMA [un spermatozoïde
est introduit de force dans un ovule, l’œuf obtenu est ensuite transféré dans
l’utérus de la femme] ou même la GPA [gestation pour autrui]. »
« De la débrouillardise »
Gynécologue obstétricien formé en Russie et en France, Djédi
Kaba Diakité affiche, dans sa clinique de Bamako, des taux de grossesse de
40 % pour les couples âgés de 25 à 35 ans, et jusqu’à 20 % pour
les plus de 40 ans. Même si « environ 15 % de ces grossesses
s’interrompent avant l’accouchement », précise le médecin, ces chiffres
sont supérieurs à la moyenne européenne, estimée à 33 % de réussite,
toutes tranches d’âge confondues. « Si, en Afrique, on parvient à
atteindre ce taux, c’est aussi car les Africaines réclament le plus souvent le
transfert de plusieurs embryons, jusqu’à trois parfois, explique le médecin. En
Europe, c’est souvent un seul à la fois. »
De fait, jumeaux et triplés représentent un tiers des
naissances au sein de son centre depuis la première FIV réalisée en 2010.
Avec son équipe d’une cinquantaine de personnes, Djédi Kaba Diakité pratique
également la ponction, la congélation et le stockage d’ovocytes et de
spermatozoïdes, leur mise en culture puis le transfert d’embryons. Des
procédures lourdes qui requièrent un matériel performant, coûteux. Et une bonne
dose d’ingéniosité.
« La PMA au Mali, c’est de la débrouillardise, confie
le gynécologue. Il faut tout importer. Pour les réactifs, je ne peux pas
compter sur les sociétés de transport international, qui tardent à livrer.
Je récupère des produits périmés ou abîmés. Je préfère m’acheter un billet pour
Paris ou en payer un à des proches installés en France pour qu’ils viennent au
Mali. Au moins, ils me livrent à temps mes réactifs. »
Pour équiper sa clinique, il a investi
300 000 euros dans un incubateur, un microscope à fort grossissement
et des congélateurs importés de France. Chaque année, ce spécialiste de la
chirurgie des trompes dépense également 50 000 euros en produits à
usage unique tels que les seringues, les kits de conservation, les réactifs…
« Nous utilisons du matériel équivalent à celui des pays du Nord. Or,
nous les payons jusqu’à cinq fois plus cher à cause des coûts d’importation et
des tarifs des revendeurs », souligne Coulibaly Founzégué Amadou, du
Gieraf.
Soin de luxe
Ces coûts se répercutent sur les tarifs de la PMA et en
font, en Afrique, un soin de luxe. Non prise en charge par l’Etat ou les
assurances, la technique se paie au prix fort. Au Sénégal, où a été
réalisée la première FIV d’Afrique subsaharienne francophone, en 1989, les
couples déboursent jusqu’à 4 millions de FCFA (6 100 euros) dans
les cliniques privées pour une PMA, soit 45 fois le salaire mensuel moyen,
alors qu’elle est gratuite en France jusqu’à 43 ans et pour quatre FIV
maximum. « Des femmes vendent leurs bijoux, leur terrain ou s’endettent
pour payer une FIV. Cela me terrifie car il y a 70 % de risque
d’échec », se désole Tidiane Siby.
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A 70 ans, ce médecin biologiste au look de golfeur qui
travaille avec plusieurs gynécologues admire sa dernière réalisation. Un
immeuble de 3 000 mètres carrés répartis en onze étages niché au cœur
du quartier administratif de Dakar. C’est dans ce nouveau siège ultrasécurisé
qu’il s’apprête à installer sa centaine d’employés. « Nous n’avons rien à
envier aux centres européens et américains. Notre standing est international »,
s’enorgueillit-il en dévoilant le matériel de pointe siglé d’une marque
japonaise, installé dans la nouvelle unité PMA. Dans la salle attenante, une
ingénieure scrute au microscope la qualité des spermatozoïdes recueillis la
veille, avant de les sélectionner pour la fécondation.
L’autre grande fierté du médecin aux mocassins en toile
demeure les salles de recueil de sperme. « Ici, nous avons pensé à
l’intimité des hommes. » Dans une petite pièce aux couleurs chaudes trône
un écran de télévision. Il propose des films pornographiques. « Nous avons
installé de longues banquettes et une douche. Beaucoup d’hommes pratiquent des
bains rituels avant de se masturber pour renforcer leur semence. Nous voulons
qu’ils se sentent comme chez eux. »
Et la demande, comme l’offre, ne cesse de croître. Depuis
qu’il s’est converti à la PMA, il y a quinze ans, Gérard Fayemi a fait naître
plus de 200 enfants. « Les couples viennent à moi comme ils vont à la
messe : ils attendent un miracle, assure ce gynécologue obstétricien
au sourire franc et aux allures de grand prêtre, installé dans
un imposant cabinet planté dans le sud de Dakar, face à l’Atlantique.
Désormais, 18 % des consultations concernent des troubles de la
procréation. Les jeunes n’attendent plus pour consulter, constate le praticien.
C’est important car il en va souvent de la survie de leur couple. »
Dérives possibles
Rokhaya Ba Thiam, autre figure de proue de la PMA
sénégalaise, a longtemps reçu dans son cabinet dakarois des femmes aux trompes
bouchées ou ménopausées au début de leur trentaine. Désormais, les diagnostics
pointent aussi l’infertilité du partenaire masculin. « Il a longtemps
fallu convaincre les hommes de passer un spermogramme car beaucoup trouvent
cela dégradant. Or les cas d’anomalies sévères des spermatozoïdes, à même pas
30 ans, ne sont plus rares », explique-t-elle.
L’objectif à présent pour les spécialistes est de constituer
une filière africaine de la PMA. Car, même si nombre de couples africains
continuent de se tourner vers l’Espagne, la Belgique ou la France pour espérer
devenir parents, un mouvement inverse s’opère ces dernières années. En France,
le biologiste Nino Guy Cassuto, qui forme depuis 1996 des médecins
africains à la PMA, adresse, lui, régulièrement des couples mixtes à ses
confrères sur le continent. « Trouver des ovocytes noirs ou métis est
quasiment impossible en France du fait du manque de donneuses. En Côte d’Ivoire
ou au Burkina, ces couples peuvent être pris en charge pour
3 000 euros », justifie-t-il.
La PMA made in Africa attire aussi les Africains installés à
l’étranger. Face à l’impossibilité de faire venir leur conjointe pour des
raisons de visa, ils profitent de leur passage dans leur pays d’origine pour
faire congeler leur sperme. « Dès que l’épouse est prête, on l’insémine
avec la semence du mari, même en son absence », explique le Dr Fayemi.
Mais la pratique est là aussi extrêmement onéreuse. A Dakar, le trimestre de
congélation est tarifé 200 000 francs CFA (305 euros). Quant à la
vitrification des ovocytes, pratique peu répandue au Sénégal, elle s’élève à
600 000 francs CFA (915 euros) pour la première année auxquels
s’ajoutent 240 000 francs CFA (365 euros) par année
supplémentaire.
Reste à encadrer juridiquement la PMA. Sous la pression des
praticiens qui exercent sans cadre précis, les Etats subsahariens réfléchissent
à des lois de bioéthique pour les couples hétérosexuels mariés. Certains
médecins s’inquiètent des dérives possibles, faute de régulation. Au Cameroun,
une femme de 62 ans a ainsi accouché en 2018 à la suite d’une FIV. Un nouveau
texte vient d’abaisser l’âge maximal à 55 ans. « La PMA en Afrique ne doit pas
devenir un marché sans garde-fou, alerte Guy Sandjon, précurseur de la PMA au
Cameroun. Imaginez qu’elle tombe entre les mains de médecins véreux sans
formation et sans éthique. On risque de se retrouver avec des dons de gamètes
qui n’ont pas été soumis aux tests viraux avec toutes les conséquences
dramatiques que cela induit. »