« L’endométriose, une pathologie longtemps méconnue en Côte d’Ivoire » (Dr Abhé Eliane Gnangoran)

L’endométriose est une maladie liée aux menstruations (règles), invalidante chez la femme, caractérisée par la douleur chronique au quotidien et méconnue du grand public. Dans un entretien accordé à l’AIP, la gynécologue obstétricienne, membre de la Société de gynécologie et d’obstétrique de Côte d’Ivoire (SOGOCI), Dr Abhé Eliane Gnangoran, déconstruit toutes les idées reçues sur cette maladie, présente les symptômes, les risques encourus et la prise en charge.

AIP : Pouvez-vous, en quelques mots, nous définir l’endométriose ?

Dr Abhé : C’est une maladie gynécologique chronique de la femme, de la fille. Elle est caractérisée par la présence de tissus semblables à la muqueuse utérine en dehors de la cavité utérine. Cette muqueuse subit à chaque cycle menstruel, l’influence des modifications hormonales.

Scientifiquement, l’endométriose se définit comme l’ectopie de l’endomètre en hors de la cavité utérine. Nous avons deux types de localisation de l’endométriose. L’adénomyose qui est l’endométriose se situant dans la paroi de l’utérus et l’endométriose externe qui est l’endométriose pouvant se situer au niveau des trompes, des ovaires, de l’intestin, de la vessie, du rectum.

AIP : Quels sont les signes permettant de les identifier ?

Dr Abhé : En fonction de la localisation, les signes sont variables. Pour l’adénomyose, il y a association de deux formes d’hémorragies, en dehors des règles et au moment des règles. Ensuite, des douleurs pelviennes et un gros utérus douloureux.

S’agissant de l’endométriose externe, on observe des douleurs pelviennes, des douleurs au moment des rapports sexuels, la défécation douloureuse, la difficulté à uriner, l’infertilité, l’hémorragie, le sang dans les urines, l’utérus sensible et un kyste ovarien. Il faut savoir aussi que l’endométriose peut être asymptomatique, c’est-à-dire sans symptôme (sans douleur).

AIP : Comment survient l’endométriose ?

Dr Abhé : La physiopathologie de l’endométriose fait intervenir de nombreuses hypothèses: les facteurs génétiques, des substances toxiques de l’environnement (dioxine).

La théorie de la régurgitation, dite théorie de l’implantation, est la plus retenue. Lors des règles, sous l’effet des contractions utérines, une partie du sang est régurgitée dans les trompes, et arrive dans la cavité abdomino-pelvienne. On parle ainsi de menstruation rétrograde.

AIP : Qui peut contracter la maladie ?

Dr Abhé : Les femmes et les filles.

AIP : Quels sont les risques qu’encourent les femmes atteintes l’endométriose ?

Des douleurs chroniques intenses invalidantes et l’infertilité. Cette douleur que l’on retrouve est très souvent invalidante et responsable de dépression, anxiété, fatigue chronique, eczéma, migraine, dysfonctionnement thyroïdien, maladie inflammatoire de l’intestin. Ces phénomènes entrainent une altération de la vie sexuelle et reproductive du couple.

AIP : Pourquoi ce diagnostic tardif autour de la pathologie ? C’est-à-dire, elle se découvre sept ou dix ans après.

Dr Abhé: C’est une maladie qui a été longtemps méconnue des populations et aussi de certains de prestataires. Cette maladie est souvent reliée alors à la sorcellerie en Afrique. De plus, la symptomatologie est très variable selon les femmes. Tout ceci conduit en effet le plus souvent à une errance diagnostique.

AIP : Pourquoi les chances d’enfanter sont-elles réduites pour les femmes qui en sont victimes ?

Dr Abhé : La maladie peut en effet entrainer une infertilité, réduisant ainsi les chances d’enfanter. Cette infertilité peut être due à des adhérences qui peuvent boucher ou comprimer les trompes et aussi à des adhérences péri ovariennes. Elle peut être, en outre, due à l’altération de la réceptivité endométriale surtout en cas d’adénomyose. Mais également à des troubles de l’ovulation et à des ovocytes de mauvaise qualité. A ces trois facteurs, s’ajoute l’absence de rapports sexuels réguliers à cause des douleurs.

AIP : Comment se traite cette maladie ?

Dr Abhé : L’endométriose est une maladie hormono-dépendante. Il s’agit donc de priver l’organisme de l’hormone qui va nourrir les cellules de l’endomètre. Le traitement médical hormonal permet de rétablir la qualité de vie.

Il s’agit d’une part, de l’utilisation de la pilule oestroprogestative en continu, ou d’un stérilet hormonal. Ensuite, l’utilisation de progestatifs et enfin, la prescription d’analogue de la GnRH (Gonadotrophin-releasing hormone, une hormone qui  joue un rôle crucial dans l’ovulation, le cycle menstruel et la production de spermatozoïdes), en association avec un progestatif et un œstrogène. Ce traitement met en ménopause artificielle car il supprime la production d’hormone directement au niveau de l’hypophyse.

AIP : Qu’est-ce que la ménopause artificielle dans le cadre de l’endométriose ?

Dr Abhé: La principale hormone féminine avant la ménopause est un œstrogène, l’estradiol, qui est produit par les ovaires. Les œstrogènes favorisent l’inflammation, et le développement de l’endométriose et des douleurs qui sont associées.

La ménopause est avant tout l’arrêt du fonctionnement des ovaires et des cycles menstruels, donc des règles. La ménopause artificielle est provoquée par un médicament et elle est temporaire. Elle se fait par cure, et dure trois à six mois en général.

Elle a donc pour but de supprimer les hormones libérées lors des différentes phases du cycle menstruel et qui permettent à l’endométriose de se manifester. Elle permet ainsi d’éviter les saignements et les douleurs.

AIP : L’intervention chirurgicale peut-elle être une solution?

Dr Abhé: L’endométriose est une maladie hormono-dépendante et la chirurgie n’arrive pas toujours à réséquer tous les implants.

AIP : Comment se fait la prise en charge des femmes victimes d’endométriose ?

Dr Abhé: La prise en charge suit les directives établies. Malheureusement, il se pose le problème du coût des examens paracliniques, des médicaments, et quand cela est nécessaire, de la prise en charge chirurgicale.

AIP : Quels sont les examens qui permettent de diagnostiquer les cas d’endométriose ?

Dr Abhé: L’échographie, l’hystérosalpingographie (HSG) mais surtout par l’imagerie par résonance magnétique (IRM) qui permet de faire le bilan complet du pelvis et de visualiser les implants.

AIP : Selon vous, comment peut-on lutter efficacement contre cette maladie ?

Dr Abhé: La formation des praticiens, l’accessibilité des examens paracliniques pour une prise en charge adaptée au type d’endométriose. La promotion de l’approche interdisciplinaire, et des approches complémentaires (Ostéopathie, physiothérapie…). La promotion de la recherche sur l’endométriose et l’accent sur les nouvelles pistes de réflexion pour le traitement. L’élaboration d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose.

AIP : La maladie est méconnue en Côte d’Ivoire alors que beaucoup de femme en souffrent. Comment la vulgariser de sorte à attirer l’attention des décideurs?

Dr Abhé : Il faut vulgariser les campagnes d’information et de sensibilisation des populations et parties prenantes, divulguer les témoignages de patientes victimes de cette maladie invalidantes, faire des consultations foraines, des campagnes médiatiques avec un appui très important des hommes des médias.

Les associations dédiées à l’endométriose auront un rôle d’information et seront un appui pour ces patientes souffrant d’endométriose et ce à travers des rencontres amicales, des permanences, etc.

AIP : Le manque de soins et de consultations peut-il avoir des conséquences considérables sur la santé reproductive en l’occurrence être un facteur de risque ?   

Dr Abhé: Evidemment! L’existence de consultation et de prise en charge adaptée permettra de réduire ce long délai entre les premiers signes et le diagnostic de la maladie.

AIP : Vous faites partie d’une association ?

Dr Abhé: Oui. La Société de gynécologie et d’obstétrique de Côte d’Ivoire (SOGOCI). Notre société savante travaille en droite ligne de la Politique nationale de santé. Elle a établi un partenariat depuis avril 2019 avec le ministère en charge de la Santé pour la mise en œuvre des politiques liées à la santé de la reproduction, afin d’améliorer les indicateurs de santé dans ce domaine.

AIP : Dites-nous comment la SOGOCI intervient dans la lutte contre cette maladie ?

Dr Abhé : La SOGOCI réalise depuis trois ans, grâce à l’appui technique et financier du laboratoire IPSEN, à qui nous adressons notre gratitude, des campagnes de sensibilisation, d’information, et des consultations gratuites dans le cadre de la journée mondiale de l’endométriose qui a lieu au mois de mars. Ces activités sont de plus précédées de la formation des prestataires sages-femmes et gynécologues. Ces activités se déroulent à Abidjan mais également dans certaines villes à l’intérieur du pays.

AIP : Que pouvez-vous dire aux femmes victimes d’endométriose en Côte d’Ivoire ?

Dr Abhé : L’endométriose n’est absolument pas une maladie psychosomatique, ce n’est pas la sorcellerie! Il existe réellement des traitements qui améliorent la qualité de vie. Des solutions existent pour faire face à l’infertilité.  Une consultation foraine gratuite est prévue pour ce jeudi 30 mars à Abidjan et à l’intérieur du pays.